Nouvelles
LE FOND DU TONNEAU
“Le Frisé a décidé de renforcer la porte de derrière à l’aide de planches prélevées sur un vieux tonneau. Il cogne comme un sourd avec son marteau, d’un geste qui n’est pas sûr. Quand il se tape sur les doigts, il pousse une gueulée qu’on entend jusqu’au fin fond de la cave. Armindo me regarde alors de ses yeux brillants et il hausse les épaules. L’accès arrière n’a pas besoin de renforcement. Mais si le Frisé se sent de planter des clous…”
Publié dans l’anthologie Malpertuis IV
LES MIENS
“Les roues s’immobilisèrent sans un bruit. Eric Host réajusta son masque sur son visage et vérifia ses réserves d’air avant de descendre du véhicule. Il sortit sa mallette d’analyse du compartiment arrière, puis gagna le rivage d’un pas tranquille.
Une odeur de varech montait de la mer, dont la surface, aussi loin que portait le regard, était recouverte d’un tapis verdâtre rehaussé par endroits de reflets bleu vif. L’eau avait la consistance d’une soupe sur quelques centimètres mais devenait limpide en profondeur. Eric sortit plusieurs flacons de sa valise et préleva des échantillons.“…
Publié dans l’anthologie Dimension suisse
AU PLUS HAUT DES CIEUX
« Sainte Vierge ! Quelle est cette odeur infecte ? » dit Tancrède en fronçant le nez.
Bélégar ricana. « Si vous faites allusion à ce léger parfum de charogne, Messire, il signifie que nous sommes presque arrivés. »…
Publié dans l’anthologie Dragons
VACANCES
“Le soleil m’a fait grimacer lorsque que j’ai ouvert les stores. La tête me tournait et mon estomac a hésité à restituer son contenu sur la moquette immaculée ; il s’est heureusement abstenu. Où avais-je fourré mes dessoûle-vite ?”…
Audiopublié sur Utopod
HAVFRUE
“J’examinai avec admiration l’appendice caudal qui prenait naissance sous les hanches galbées. Le travail était si finement réalisé qu’on ne pouvait établir de séparation nette entre la chair et les écailles. Rien à voir avec ces collages indélicats que l’on vendait dans les marchés de la basse ville. Ici, le tissu humain se transmutait pour devenir un tissu ondin; l’épiderme s’épaississait, prenait des reflets d’argent, puis se séparait en fines lamelles qui s’emboîtait merveilleusement les unes dans les autres.”…
Publié dans le N°30 (Contes) de la revue Archipel
LE CADEAU
“Tout le monde connaît la forte odeur terreuse que dégage un sol humide, fraîchement retourné. En revanche, beaucoup ignorent d’où elle provient. La terre, harmonieux mélange de limon, de sable, d’argile et d’eau, abrite une faune insoupçonnée – et je ne parle pas des vers de terre. Ainsi, dans tous les sols cultivables, des bactéries du genre Streptomyces s’ébattent librement entre les frontières de leur monde microscopique, produisant des substances nommées géosmines qui sont responsables de cette inimitable odeur. La vie elle-même donne son parfum à la terre.”…
Publié dans l’anthologie La Terre
LAISSEZ LA LUMIÈRE ALLUMÉE
“Il était cinq heures de l’après-midi et tout était calme. Les quatre hommes descendirent de la camionnette et marchèrent en direction d’une petite maison à demi cachée derrière un peuplier gris.
L’un d’eux frappa trois coups légers à la porte, qui s’ouvrit presque aussitôt sur une petite femme d’âge mûre. Sans prononcer une parole, elle s’effaça pour permettre aux quatre hommes de pénétrer dans le hall, puis referma derrière eux. Elle leva les yeux, leur désignant du regard l’étage au-dessus. L’homme qui avait frappé hocha la tête, indiquant qu’il avait compris, et il gravit silencieusement les escaliers, les autres sur ses talons.”…
Publié dans le N°13 de la revue Éclats de Rêves
À LA CARTE
“— Oh, Bünzi ! Par ici mon vieux !
Vêtu d’un manteau marron élimé et d’un béret de laine, les yeux dissimulés sous de larges lunettes noires, Maurice Bünzi traversa vivement la salle du Buffet de la Gare, se faufilant entre les tables en direction de l’homme qui l’avait interpellé.
— Vous n’êtes pas fou de crier mon nom comme ça ? chuchota-t-il, inquiet.
Il prit place à une petite table tapie dans l’angle nord, tout contre la sortie donnant sur le quai numéro un.
— Soyez discret, poursuivit Bünzi, je ne tiens pas à ce que l’on me reconnaisse. Et ne m’appelez pas mon vieux.“…
Publié dans le N°28 (Sous Scellés) de la revue Archipel
PLIER BAGAGE
« C’est absolument incroyable ! »
J’ai fini de tartiner ma troisième tranche de pain, je me suis servi une nouvelle tasse de café et ensuite j’ai demandé à Anita ce qui était incroyable.
« Là, dans le journal. Dans les dépêches nationales. »…
Publié dans l’anthologie Et si une Suisse fantastique m’était contée
Audiopublié sur Utopod
MALDONNE
(Nouvelle ultra-courte)
“Créer un être vivant artificiel !
Sur l’autel de cet espoir dément, contre nature, le professeur a tout sacrifié : sa carrière, son mariage sa vie.”
Concours de nouvelles. Publié dans l’Express de Neuchâtel.
Nouvelles inédites
TOUT EST SOUS CONTRÔLE
“L’air du matin s’infiltrait dans les poumons de Romain comme une main fureteuse et froide. Le givre recouvrait les feuilles mortes, la terre gelée, les touffes d’herbe aplaties de chaque côté du chemin. Dans la clarté pâle, sapins et hêtres piquetaient le sommet de la crête, hauts et droits comme des mats, leur faîte à demi mangé par la brume. Le tableau aurait pu être l’œuvre d’un maître naturaliste. Ce tableau poétique, qui élevait l’âme, à cet instant, Romain n’en avait strictement rien à foutre.“
Texte inédit
LE VOYAGEUR À CONTRE-TEMPS
“J’étais arrivé par le train de l’après-midi dans la ville de xxxx. Mon journal m’y avait envoyé couvrir la foire agricole, la plus importante du département, qui se tenait pour la première fois depuis la guerre. J’allais rester deux jours pour suivre l’événement et prendre des photos. Il n’y avait là rien de bien excitant, mais il fallait bien gagner son pain.“
Texte inédit
QUE PUIS-JE FAIRE POUR VOUS ?
“Olivier da Costa tourne la tête de droite à gauche. Mais où est le Marriott ? Il n’y a que de vieux immeubles locatifs rêvant à une couche de peinture fraîche, et un garage spécialisé dans le montage de pneus. Pas d’hôtel cinq étoiles, aussi loin qu’il peut voir le long de la rue. Sa smartwatch claironne pourtant qu’il est arrivé à destination.”
Texte inédit
CROMWELL F*CKS FAWKES
“Je suis sorti de la bourse en desserrant ma cravate. Le surplomb triangulaire de l’entrée principale penchait sa masse de béton sur moi en se foutant de la gravité. L’architecte voulait sans doute nous rappeler que dans la finance, quelque chose menaçait toujours de nous tomber sur le coin de la gueule. J’ai respiré l’air du soir, encore tiède. La tranquillité de la rue, son trafic sage et ses couples poussant leur poussette me déprimaient. Cela allait changer. La bataille était pour samedi prochain.”…
Texte inédit
LE MURMURE DES DISPARUS
« Vous parlez aux morts ? »
Étienne remua son café et répondit :
« Je ne peux pas dire ça, non. Pas comme nous parlons tous les deux en ce moment. C’est plus subtil. […] Ce sont des images, des ressentis. Ou même des odeurs. Je perçois des choses au travers de mon corps. Je n’entends pas des phrases. C’est plutôt un murmure qui m’entoure. J’appelle ça le murmure des disparus. »…
Texte inédit