Rien de mieux, en période de fêtes de Noël, qu’un bon recueil de chroniques touristiques de Julien Blanc-Gras, le globe-trotter flegmatique et rigolo. Dans Envoyé un peu spécial, sorti en 2021 chez Stock (j’ai l’édition de poche parue cette année), le journaliste et auteur publie une trentaine de textes parus ci et là dans différents magazines, remontant parfois à plusieurs années, et couvrant quasi tout le globe : Etats-Unis, Chili, Australie, Indonésie, Chine, Japon, Afrique du Sud, Nigéria, Iran, Serbie, Suisse, et j’en passe…
L’écrivain voyageur est une espèce qui, curieusement, et surtout à l’époque d’internet, a toujours le vent en poupe (voyez Sylvain Tesson – que je n’ai toujours pas lu, voilà, faute avouée…). Néanmoins, Blanc-Gras n’est pas un « écrivain voyageur », mais un autoproclamé « touriste ». Comme il le résume dans l’hilarant ouvrage éponyme :
« Je n’ai pas l’intention de me proclamer explorateur. Je ne veux ni conquérir les sommets vertigineux, ni braver les déserts infernaux. Je ne suis pas aussi exigeant. Touriste, ça me suffit. Le touriste traverse la vie, curieux et détendu, avec le soleil en prime. »
Touriste, donc. Ce qui ne l’empêche pas d’avoir des aventures, car il ne reste jamais très longtemps dans les sentiers battus et balisés. Il prend des cuites sur les pistes d’une station de ski iranienne, sous le regard désapprobateur de Khomeini. Il taille le bout de gras avec le gardien de phare du cap Horn. Il assiste au concours miss Monde en Chine. Il rencontre l’inénarrable Yann Arthus-Bertrand lors de la danse des cent mille vierges au Swaziland.
Blanc-Gras ne fait pas la morale et n’est pas cynique (ou très peu, juste le petit pour cent nécessaire), ce qui débloque bien les bronches à notre époque asphyxiante qui a trop de l’un et trop de l’autre. C’est ainsi que Blanc-Gras nous offre une vision à la fois personnelle, drôle et éclairante, qu’il prenne part au grand raout annuel du dernier roi d’Afrique ou qu’il boive des coups et danse dans un petit village serbe dont personne n’a entendu parler.
Petit coup de cœur personnel : le trip à Davos (Suisse), pour assister (dixit Blanc-Gras) au « festival forum ». Un extrait :
« Soyons honnêtes : frayer dans cet environnement est un peu grisant. Suis-je déjà corrompu par la proximité du pouvoir ? Après avoir organisé un débat contradictoire avec moi-même, j’en arrive à la conclusion que : non, je ne crois pas. Cette excitation est identique à celle qui me saisit en arrivant dans un village retiré de la brousse mozambicaine. Simplement la jouissance du reporter accédant aux zones rares. Une différence toutefois : dans un village africain, je sais que je suis le plus riche. À Davos, il est probable que je sois le plus pauvre. »
Il y a cette expression : bête et méchant. Julien Blanc-Gras, ce serait plutôt gentil et malin.
Envoyé un peu spécial, par Julien Blanc-Gras, 2023, Le livre de Poche, 259 pages.