Là où l’on brûle les livres, on finit par brûler des hommes.
Heinrich Heine, Almansor, 1821
Livres censurés, livres à l’Index, livres brûlés…
C’est ce thème qu’a choisi de développer le musée Strauhof, dans le centre-ville de Zurich, un excellent petit musée consacré à la littérature. (Le Strauhof abrite aussi la fondation James Joyce – l’auteur vécut à Zurich, et y est enterré.) L’exposition « Satanische Verse & verbotene Bücher » court jusqu’au 21 mai 2023.
Les Versets Sataniques de Salman Rushdie est peut-être le livre censuré le plus connu – nulle surprise dès lors que l’exposition lui consacre une place clé. Rushdie, poursuivit par une fatwa depuis plus de trente ans, a miraculeusement survécu jusqu’ici, y compris une attaque au couteau en août 2022 aux États-Unis. L’ayatollah Khomeini (l’inventeur du Moyen-Âge, comme disait Coluche) a beau être mort quelques mois après avoir édicté la fatwa, la haine et la folie ont poursuivi Rushdie jusqu’à ce jour. À lire : l’excellent portrait de l’écrivain par David Remnick dans le New Yorker. (Honte à moi, je n’ai jamais lu Rushdie ! Il faudra que je m’y mette, peut-être en commençant par Midnight’s Children ?)
Photographie par Richard Burbridge pour The New Yorker
Dans l’exposition figurent également en bonne place les bûchers de livres orchestrés par les Nazis – et auxquels sont rattachés souvent et justement la citation d’Heine mise en exergue. Brûler les livres est l’acte de barbarie par excellence, comme le découvre le pompier Montag dans le grand roman de Ray Bradbury, Fahrenheit 451. (Et bien entendu nous retrouvons également Fahrenheit dans l’exposition, sous la forme d’un extrait du film de Truffaut passé en boucle.) La haine de l’art, de la littérature, de la pensée, voilà bien un trait du fascisme.
Mais les fascistes n’ont pas le monopole de la censure et de la barbarie. Les fondamentalistes sont là aussi, en embuscade, prêts à prendre les devants au moment opportun – on l’a bien vu avec Khomeini et les versets sataniques. On l’a vu aussi, et l’exposition le rappelle, avec les fondamentalistes chrétiens, qui ont l’infâme honneur d’avoir rendu Harry Potter le livre le plus banni du 21e siècle. C’est que la sorcellerie, ce n’est pas bon pour les enfants, voyez-vous… Mais quel curieux monde que celui d’aujourd’hui, où Joanne Rowling, l’auteur de Potter, attire non seulement l’ire des religieux, mais aussi celle de certains activistes prétendument du côté du « progrès », qui vont jusqu’à se filmer brûlant le livre de Rowling ! Qu’a-t-elle fait pour mériter cet autodafé, la sorcière Rowling ? D’après l’activiste pyromane, celle-ci serait « adorée par des fascistes radicaux trans-exclusionnels ». Quel beau moment de projection : accuser les autres de fascisme tandis qu’on brûle des livres, tel un fringant Obergruppenführer de la SS. On tombe des nues.
Le thème de la censure, des livres interdits, de la pensée « dangereuse » demeure donc on ne peut plus d’actualité, et le Strauhof met le doigt au bon endroit.
Exposition « Satanische Verse & verbotene Bücher », musée Strauhof, Zurich, du 2 mars au 21 mai 2023.