Ce serait sa plus belle plongée, il le pressentait, un voyage au cœur des abîmes, dans le trou noir des grands fonds, là où il n’avait jamais mis les pieds. […] Il allait tomber comme une pierre, fendant les épaisseurs marines tel un scaphandrier bardé de cuivre et de plomb, et son casque rutilant tracerait dans la nuit liquide un sillage de bulles bourdonnantes. « J’arrive ! » pensa-t-il en fermant les yeux. L’oreiller clapotait sous sa nuque, l’écume des draps lui léchait les reins. Il s’enfonçait et rien ne pouvait plus le retenir à la surface. (p.126)
Dans Le syndrome du scaphandrier (éditions Denoël, 1991), Serge Brussolo nous conte l’histoire de David, médium plongeant dans le monde des rêves pour en ramener des « ectoplasmes à durée persistante », de l’art moderne onirique et matérialisé que les collectionneurs s’arrachent. La plongée est une drogue dure pour David, qui y vit des aventures de cambriole trépidantes à la recherche des précieux trésors des abysses. Mais le butin de David va s’amenuisant, il remonte de ses plongées des ectoplasmes moribonds, invendables, tant et si bien que le centre médical des Beaux-Arts décide de placer David en vacances forcées…
Comme le soulignent Roger Bozzetto et Arthur B. Evans dans leur article consacré à Brussolo, l’auteur français est lui-même un « plongeur surréaliste », explorant les monde des rêves et en ramenant des objets étranges (des livres !) pour le bonheur du public.
Le syndrome du scaphandrier est une perle – quitte à filer la métaphore maritime ! – un roman court et vibrant et au style formidable. Car Brussolo est avant tout un écrivain du style : ses œuvres tomberaient à plat s’il n’avait ce talent pour enflammer et faire exploser sa prose, qui se doit pour le meilleur effet d’être dévorée compulsivement (« cannibalisée », écrivent même Bozzatto et Evans). Comme Brussolo le dit lui-même :
Je suis un fabricant de cartouches pour fusil à rêver, un artificier de l’imaginaire. Que mes romans vivent le temps d’une explosion, c’est tout ce que je demande. Mais qu’ils explosent! La S.F. m’a fourni les allumettes et les mèches nécessaires à la mise à feu de mon carnaval pyrotechnique…. (“Trajets” 7-9, cité par Bozzetto et Evans dans leur article.)
Serge Brussolo est un extraterrestre, et nous sommes bien chanceux de l’avoir parmi nous. Avec plus de deux cents romans publiés sur une période de quarante-cinq ans, cela nous donne la moyenne impressionnante de 4 ouvrages publiés par an. Personne en France ne peut se comparer à lui. Il faut aller chercher du côté des Etats-Unis, comme nous le rappellent Bozzetto et Evans, pour atteindre de tels sommets de productivité, par exemple chez Robert Silverberg ou Stephen King.
Je le confesse, j’ai peu lu Brussolo, peut-être pas plus d’un ou deux titres – je me souviens d’une lecture fièvreuse de « L’homme aux yeux de Napalm » durant une journée de Noël, ce qui fut très à propos. Mais je compte bien me rattraper.
Le syndrome du scaphandrier, par Serge Brussolo. Folio SF, 192 pages.