Dire d’une personne qu’elle a une « imagination débordante » est un bon vieux cliché. Et pourtant, tout cliché qu’elle soit, l’expression est parfaite pour décrire l’écriture de Serge Brussolo : son réservoir d’imagination gronde, glougloute, déborde, déverse sans cesse son trop-plein…
Ainsi, dans Ce qui mordait le ciel… (Fleuve Noir Anticipation, 1984), on trouve, par exemple (liste non exhaustive): une compagnie de croque-morts intergalactiques, des montagnes cristallines surgissant de dépouilles animales, un village se transformant en brasier une fois par jour, une secte de canonniers fous, de l’escalade avec une ruche sur le dos, des cimetières aériens, ou encore un château de caoutchouc anti-tremblements de terre.
Si tout ça a l’air cinglé… c’est que ça l’est ! Néanmoins tout se tient, tout s’emboîte, se matérialise dans notre crâne, grâce au talent et au style de Brussolo. Ce qui mordait le ciel… n’est peut-être pas un livre de l’auteur aussi incontournable que peut l’être Le syndrome du scaphandrier, mais la ballade vaut le détour.
Sur la planète Sumar, des formations de cristal, géantes et indestructibles, poussent sur les dépouilles des gros ruminants locaux, créant mille complications, et menaçant l’espace vital de la population. Personne sur Sumar ne sait pourquoi ces cristaux empoisonnent leur existence. Personne sauf David, employé Terrien de la compagnie intergalactique des pompes funèbres, et envoyé discrètement sur la planète pour constater les dégâts causés par une inavouable « boulette » de la compagnie, datant demi-siècle plus tôt…
Le style de Brussolo est l’attrait principal. Voilà une description, par exemple (p. 13) :
Neemorev attendait au milieu du déambulatoire central. Les mains croisées derrière le dos, sanglé comme à son habitude dans un strict costume de croque-mort. Il était de très petite taille, chauve, avec un crâne curieusement bosselé et une peau ivoirine qui paraissait épaissie, calcifiée comme celle d’un jeune animal qui sécrète doucement sa carapace d’adulte.
Voilà qui nous change des ‘pommettes saillantes’ et autres ‘traits tirés au couteau’ !…
Repris en Présence du Futur (Denoël), puis en Folio SF, ce livre a paru à l’origine chez Fleuve Noir Anticipation, une légendaire collection populaire de livres de poche, avec au compteur près de 2000 titres publiés entre les années cinquante et la fin des années nonante. Cette collection a permis de lancer bon nombre d’auteurs de SF français, dont Brussolo.
Content d’avoir trouvé cet exemplaire de seconde main dans la toujours excellente librairie de la Louve à Lausanne.
Ce qui mordait le ciel… , par Serge Brussolo, Denoël Présence du Futur, 1998 (première parution1984), 216 pages.