Dessin de Chappatte: © Chappatte in NZZ am Sonntag, Zürich
Dans une nouvelle vidéo publiée il y a peu, Mark Zuckerberg dévoile son nouveau look : boucles folles, chaîne en or, et montre hors de prix (Greubel Forsey, hop Suisse !). Plus important, il nous annonce des changements chez Facebook et Instagram, qui appartiennent à sa boîte Meta. Ces réseaux sociaux vont mettre la pédale douce sur la modération des contenus, s’alignant en cela plus ou moins sur Musk et sa façon de gérer Xtwitter à l’aide de ‘notes de la communauté’.
Immédiatement, des cris d’orfraie se font entendre : c’est la porte ouverte à la désinformation de masse et aux discours de haine. Zuckerberg fait volte-face, s’applatit devant Trump, baise l’anneau, et tout ça. La transhumance se prépare : il va falloir quitter Facebook pour de plus verts pâturages, avant que l’herbe ici ne pourrisse, ce qui est garanti.
Oui, bon, peut-être. Mais tout ça me laisse un peu perplexe. Tout d’abord, la conduite de Zuckerberg n’a rien de particulièrement surprenante. Les grosses compagnies américaines font toujours les yeux doux aux nouvelles administrations. Et comme le note l’auteur John Scalzi sur son blog Whatever, les gens semblent avoir oublié que Zuckerberg a toujours été perçu comme un homme sans âme qui ne cherche qu’à maximiser son profit sans perdre une minute de sommeil sur les questions éthiques. Scalzi : « Ils ont fait un film entier [The social network] sur Zuck, un sociopathe exsangue ! » Ainsi, il s’agirait moins d’un volte-face que d’un retour aux fondamentaux (comme on dit de nos jours).
Et je me rappelle une époque ou Zuckerberg (mais pas que lui, Bezos et d’autres également) insistait que les plateformes ne devaient pas contrôler le contenu qu’elles publient, au-delà des restrictions habituelles (violence, pornographie,…). Modérer les contenus, instaurer du fact-checking, Zuckerberg y est allé à reculons, contraint et forcé, petit à petit, par Washington et le congrès américain.
Facebook va-t-il prendre le chemin de Xtwitter ? On verra bien. Mais à propos du réseau social d’Elon Musk, quelque chose m’échappe aussi. Je l’utilise, surtout pour le travail, et force est de constater que l’exode est massif : on ne compte plus les particuliers et les institutions qui abandonnent leur compte Xtwitter aux orties. En général, les institutions ou groupes se fendent d’un message déclarant que l’atmosphère est devenue trop toxique, le terrain miné par la désinformation et les discours de haine. Ils vont installer leur tente sur Bluesky, ou Mastodon.
Pour ma part, il est clair que Xtwitter est en dégringolade. Sans exagérer, 95% de ce qui apparaît sur mon feed est inutilisable : publicités et random bullshit, et des vidéos, partout, sans discontinuer, sur tout et n’importe quoi… Vidéos d’animaux, d’accidents de transports, de catastrophes naturelles, d’actions sportives, d’influenceuses devant leur glace… Mais désinformation et discours de haine ? Pas vraiment. Peut-être suis-je chanceux, épargné. Mais peut-être, aussi, qu’à force de répéter le même discours, on se persuade d’une réalité sublimée ? Si tout le monde le dit, c’est que c’est vrai, non ?
Certes la désinformation existe, c’est une réalité. Mais comme l’écrit Philipp Loser dans Das Magazin : « La désinformation fait partie de notre monde ; elle est une caractéristique déterminante de l’ère Internet. » Nous aurions tort de nous focaliser sur la désinformation comme clé de voûte du problème, poursuit Loser, citant le chercheur en politique Henry Farrell. C’est plutôt affaire de perception : on ne croit pas personnellement aux bêtises circulant sur les réseaux, mais on croit que d’autres y croient… La compréhension de l’espace public est déformée. Le danger des réseaux n’est pas directement qu’ils désinforment, mais qu’ils orientent, voire focalisent, le discours public. Dans les cas extrêmes (Xtwitter), l’espace-temps du discours public est déformé par un objet super massif et frappadingue nommé Elon Musk. La solution est-elle dans la régulation ? Honorable idée, mais peu de chances en pratique, conclut Loser.
Je ne suis pas encore allé voir du côté de la concurrence, mais sans doute irai-je un jour, par nécessité. Bluesky a le vent en poupe, mais semble également tomber dans les travers qui ont marqué Twitter avant l’ère Musk : entre-soi et ostracisation de tout ce qui n’est pas jugé bon et bien par les coteries dominantes… Pas sûr que l’herbe y demeure verte très longtemps.
Note : l’essai de Farrell sur son blog Programmable Mutter, titré We’re getting the social media crisis wrong, est excellent et mérite le détour.