Ou comment résumer quelque quatre milliards d’années d’évolution en deux cents pages et douze chapitres. Voilà le pari, plutôt réussi d’ailleurs, relevé par Henry Gee dans ce livre paru en 2021, qui va nous balader des premières cellules procaryotes jusqu’aux premiers hommes de notre espèce, en passant par la faune de l’Ediacara, les étranges animaux du Trias, les dinosaures évidemment, les mammifères géants du Pliocène, j’en passe et des meilleurs…
Henry Gee est rédacteur spécialisé pour le magazine scientifique britannique Nature, et également l’auteur d’une dizaine de livres dans le domaine de la paléontologie et de l’évolution. Dans ce dernier ouvrage en date, d’abord, frappe le tour de force consistant à distiller une information qui pourrait remplir une bibliothèque en une série de courts chapitres. En effet, ce qui pourrait avoir été une longue litanie de noms, embranchements, ordres, familles, espèces, tout ça ordonné dans des arbres phylogénétiques, se trouve être intelligemment ficelé dans une trame narrative efficace. (Quand bien même, parfois, on regrette que le livre ne contienne pas d’illustrations, pour nous figurer immédiatement les Acanthostega et autres Jaekelopterus… Critique mineure à l’heure d’internet.)
Néanmoins, il faut noter deux points majeurs qui font de cette brève histoire de la vie sur Terre davantage qu’un bon ouvrage de vulgarisation scientifique. Le fait, tout d’abord, que l’auteur, lorsqu’il aborde un point encore débattu par la communauté scientifique, fait le choix de présenter seule la version qui aujourd’hui rassemble le plus d’adhérents, sans ressentir le besoin de mentionner les explications concurrentes (ou éventuellement seulement dans une note). Cela permet de maintenir une narration vivante, sans ralentir avec d’incessants « on ne sait pas vraiment ce qui s’est passé », qui, s’ils sont honnêtes, ne serviraient pas particulièrement le livre.
L’autre point clé, c’est un joli mélange de lyrisme, de poésie, d’humour parfois, dans la prose de Gee, qui fonctionne splendidement. Par exemple ce passage, alors qu’il discute la cataclysmique fin du Trias (ma traduction), p. 89 :
‘Les températures globales, déjà élevées, atteignèrent des pics encore plus hostiles à la vie. C’était comme si la Terre, piquée par son échec d’avoir anéanti toute vie 50 millions d’années plus tôt, était revenue pour un nouvel essai.
Cette crise dura six cent mille ans.
À la fin, la mer noya la faille – le commencement de ce qui allait devenir l’océan atlantique. Mais bien des animaux qui auraient fendu les nouvelles mers n’étaient plus : les thalattosaures, pachypleurosaures, nothosaures, hupehsuchides, et placodontes avaient disparu. Les ichthyosaures survécurent, ainsi qu’un descendant des nothosaures : les plésiosaures. Sur la terre ferme, les dicynodontes et les procolophonides, les rauisuchians et rhynchosaures, les silesaures, les bizarres Sharovipteryx, Tanystropheus, et drépanosaures furent tous balayés. Le grand cirque du Trias avait quitté la ville, laissant une bande de survivants dépenaillés.’
Il y a de la grandeur, quelque chose même de lovecraftien, dans l’évocation de ces éons, de ces ères géologiques dont la durée dépasse l’entendement humain. Et le futur n’est pas en reste, comme Gee nous dépeint le probable destin de la Terre, lorsqu’un nouveau et dernier supercontinent sera créé, tandis que les eaux s’évaporeront (p. 200) :
‘Dans environ un milliard d’années, la vie sur Terre, qui a si adroitement changé tout défi à son existence en une opportunité de prospérer, aura, finalement, expiré.’
L’homme, bien sûr, sera éteint longtemps avant ce baroud final, n’étant qu’un moment fugace de l’histoire de la Terre. Dans son épilogue, Gee nous offre néanmoins ce réconfort en conclusion :
‘Ne désespérez donc pas. La Terre demeure et la vie continue de vivre.’
- A (very) short history of life on Earth, par Henry Gee, 2021, St Martin’s Griffin, 282 pages.