À 83 ans, Richard Dawkins signe ce que certains prédisent être son dernier livre, le joliment titré The genetic book of the dead. Dawkins vient d’ailleurs d’achever une tournée d’adieu (nommée The final bow, ou la dernière révérence) en Amérique du nord et en Europe.
Dawkins occupe une place particulière dans le paysage culturel. Il est de bon ton depuis quelques années de le dénigrer comme n’étant rien d’autre qu’un vieux mâle blanc qui ne vit plus avec son temps, la faute sans doute à ses prises de position contre les religions, ainsi qu’à un usage des réseaux sociaux qui a souvent été maladroit. Mais qu’importe ces vétilles qui sans doute ne marqueront pas l’histoire. Dawkins est, avant tout, un grand auteur, dont les œuvres les plus importantes – Le gène égoïste, L’horloger aveugle, Le phénotype étendu – ont eu une portée considérable ces cinquantes dernières années.
J’ai lu Le gène égoïste durant mes études de biologie, et je peux dire sans exagérer que ce livre a pronfondément transformé ma compréhension de l’évolution et de la sélection naturelle, et dans une certaine mesure également mes considérations philosophiques. Cette expérience personnelle, des milliers d’autres la partagent, et sans doute peu d’auteurs peuvent se targuer d’avoir laissé une telle empreinte dans la paysage culturel (j’insiste ici sur le choix des mots, afin que l’on reconnaisse la culture scientifique comme partie intégrale de la culture en général).
Que vaut alors ce Livre des morts génétique ? Une bonne ‘non-surprise’, très bien écrit (mais Dawkins n’a jamais mal écrit), élégamment illustré par Jana Lenzová, riche sans être trop long (ce qui me semble souvent être un défaut des livres scientifiques populaires actuels). The Economist l’a listé parmi ces meilleurs livres de 2024 dans la catégorie science, rarement une mauvaise référence…
Cependant, le livre a un peu les défauts de ses ambitions. Dawkins nous propose un concept nouveau plutôt intéressant : l’analyse du patrimoine génétique d’une espèce – c’est-à-dire la séquence d’ADN contenue dans le génome – pourrait à elle seule suffire à prédire tout une série de caractéristiques physiologiques, anatomiques et écologiques propres à l’espèce en question. Promesse alléchante, mais comme l’avoue très vite Dawkins, la science actuelle est encore loin d’une telle prouesse. Ainsi, après quelques conjectures, ce fil s’épuise assez vite et le livre doit se tourner vers d’autres domaines plus éprouvés de l’étude de l’évolution. Je n’ai pas boudé mon plaisir, même si certains passages ont il me semble déjà été abordés dans d’autres ouvrages (le nerf laryngé super long du cou des giraffes dans ‘The greatest show on Earth’, peut-être ?).
Le journal scientifique Nature vient de publier une critique du livre, signée Nathaniel Comfort, un historien de la biologie. S’il résume assez bien les éléments principaux du livre, la critique de Comfort est plutôt mal écrite, et parfois trahit une mauvaise fois (intériorisée ?) à la lecture de Dawkins. Il y a chez certains (et ce n’est pas limité aux non-biologistes) une incapacité à savoir lire Dawkins qui mériterait une étude à part entière (Mary Midgeley, etc.). Un exemple ? Comfort écrit :
« [D]epuis Le gène égoïste, [Dawkins] s’est livré à une orgie de langage déterministe. Il fait référence à des « gènes pour l’escalade experte », à des « gènes pour la taille du pénis » et à des « gènes pour les intestins des carnivores dont les cellules sécrètent des enzymes pour digérer la viande », entre autres. […] [C]’est de plus en plus en décalage avec une compréhension moderne du gène et de la biologie comme étant infiniment flexibles, subtils et réceptifs à l’environnement. L’épigénétique, par exemple, module l’expression des gènes de manière subtile que nous ne pouvons pas commencer à prévoir. »
Passons sur la sempiternelle invocation de l’épigénétique, usée et abusée, par ceux qui veulent enfler son importance. Mais notons surtout la mauvaise foi : Dawkins prend bien soin d’expliquer, et ce sur plusieurs pages, en quoi la notion d’un gène codant pour un trait unique et distinct est une idée fausse, qui ne capture pas la pléïotropie (c’est-à-dire les rôles multiples) des gènes.
À cette critique dans Nature, je préfère donc naturellement celle du généticien Adam Rutherford, parue dans le Guardian. Critique plus nuancée, qui note les limites du livre, mais reconnaît également l’importance culturelle de Dawkins :
« C’est un livre merveilleux à bien des égards, mais je ne l’ai pas aimé, ceci je crois parce que mes goûts en matière de prose ont évolué. On dirait le dernier volet d’une époque révolue d’écriture scientifique grandiloquente, dont Dawkins était le doyen, le conteur. […] Si c’est bien le « chant du cygne » de Dawkins, comme il l’a laissé entendre, alors je pense que beaucoup d’entre nous ne seraient pas dérangés par une tournée finale à la manière de Status Quo, qui se poursuivrait encore, fidèle à son obstination à défendre l’idée capitale de Darwin. En fin de compte, le destin de tous les organismes, selon les lois fixes de l’évolution, est l’extinction. Mais les scientifiques du futur étudieront sûrement les écrits de Richard Dawkins longtemps après qu’il aura succombé aux forces qu’il a tant fait pour célébrer. »
Qui remplacera Dawkins, pour écrire sur l’évolution ? Ils ne se bousculent pas au portillon. Nick Lane est un bon auteur, mais sa portée est bien moins étendue. Carl Zimmer écrit aussi de bons livres, mais il est journaliste, pas scientifique, et cela fait une différence. Et j’en oublie sans doute beaucoup injustement. Il fût un temps où les bloggers avaient le vent en poupe (PZ Myers, Jerry Coyne,…), mais c’est là plutôt une espèce en voie d’extinction. Au vingt-et-unième siècle, nous avons tout de même perdu Stephen J. Gould (2002), Ernst Mayr (2005), E. O. Wilson (2021), Dick Lewontin (2021)… Certaines passes d’armes entre ces auteurs (incl. Dawkins), souvent par critiques interposées, sont rentrées dans l’histoire du genre. Voilà un vide qui va être difficile à combler !
- The genetic book of the dead, de Richard Dawkins, 2024, Head of Zeus Ltd., 351 pages.