Récemment, deux essais littéraires, l’un de Stephen King et l’autre de Tzvetan Todorov, se sont retrouvés sur ma table de chevet, intéressante lecture croisée.
On writing – a memoir of the craft, tout d’abord, dans le coin gauche, avec le titre français un peu moins sexy de Écriture – mémoires d’un métier, est un bouquin de Stephen King, qu’on ne présente plus, paru en 2000, pour moitié souvenirs autobiographiques et pour moitié conseils d’écriture. C’est un classique que probablement tout apprenti auteur a lu ou parcouru une fois dans sa vie. Pour ma part j’y retournais, l’ayant lu il y a dix ans ou quelque. Les conseils d’écriture sont excellents, et on a même droit à un exemple d’un passage écrit puis remanié par le King.
En face, dans le coin droit, La littérature en péril (2007) est un excellent court essai de l’historien et chercheur franco-bulgare Tzvetan Todorov, célèbre notamment pour son Introduction à la littérature fantastique parue en 1970 déjà. Dans cette littérature en péril, Todorov regrette qu’on néglige aujourd’hui le sens, la portée des œuvres littéraires, au profit d’une analyse structurelle froide et distante. Cet érudit petit texte va nous balader de l’Antiquité jusqu’à aujourd’hui, en passant par les Lumières et les Romantiques. Au passage, Todorov tacle la littérature dite d’autofiction, qu’il juge « complaisante et narcissique ».
Il existe un point commun entre les textes de King et Todorov : celui de considérer la littérature comme indispensable à notre vie humaine et à son bon développement. Sans elle, notre vie serait plus pauvre, plus terne, plus repliée sur elle-même. Pour King, la littérature est même encore davantage : une forme de télépathie, qui permet aux hommes de communiquer, de cerveau à cerveau, à travers le temps et l’espace. Et il l’affirme en un sens qui n’est pas métaphorique. Todorov n’est pas si loin, lorsqu’il écrit, parlant de la poésie (mais la réflexion peut s’appliquer à l’ensemble de la littérature), qu’elle « ne relève ni de l’ouïe ni de la vue, mais exige la mobilisation de l’esprit : la beauté de la poésie s’appuie sur son sens et ne peut être séparée de sa vérité » (p. 48).
« Je n’ai jamais ouvert ma bouche et vous n’avez jamais ouvert la vôtre. Nous ne nous trouvons même pas dans la même année, encore moins dans la même pièce… seulement nous sommes ensemble. Nous sommes proches. Nous avons une rencontre de nos esprits. […] Nous sommes engagés dans un acte de télépathie. Pas une connerie mythique, mais de la vraie télépathie. »
Stephen King, On Writing (ma traduction)
« Le lecteur ordinaire, qui continue de chercher dans les œuvres qu’il lit de quoi donner un sens à sa vie, a raison contre les professeurs, critiques et écrivains qui lui disent que la littérature ne parle que d’elle-même, ou qu’elle n’enseigne que le désespoir. S’il n’avait pas raison, la lecture serait condamnée à disparaître à brève échéance. »
Tzvetan Todorov, La littérature en péril
Todorov nous conte notamment la transformation des « belles lettres » en simplement les « lettres », tout comme les « beaux-arts » sont devenus les « arts », c’est-à-dire la rupture entre d’un côté « l’art pour l’art » (formule que l’on doit à Benjamin Constant, nous apprend Todorov), et de l’autre côté la pratique artisanale, non artistique, parfois utilitaire ou commerciale.
La plus grande force de la littérature, nous dit Todorov, en citant Kant, c’est qu’elle nous permet de nous mettre à la place d’autres personnes, qu’elles soient réelles ou imaginaires, ce qui « est l’unique moyen de tendre vers l’universalité » (p.78). King approuverait, lui qui parle de la nécessité pour l’écrivain d’être entièrement honnête dans l’élaboration de ses personnages, comprenez par-là qu’ils doivent être « vrais » pour donner du sens à l’œuvre.
Todorov écrit en conclusion (pp. 88-89) : « L’objet de la littérature étant la condition humaine même, celui qui la lit et la comprend deviendra, non un spécialiste en analyse littéraire, mais un connaisseur de l’être humain. […] Avoir comme professeurs Shakespeare et Sophocle, Dostoïevski et Proust, n’est-ce pas profiter d’un enseignement exceptionnel ? »
Vive la télépathie !
- On Writing, de Stephen King, 2000, Pocket Books, 288 pages.
- La littérature en péril, de Tzvetan Todorov, 2007, Flammarion, 96 pages.