Polyphème est un collectif d’autrices et d’auteurs suisse romands qui ont le bon goût d’écrire dans les mauvais genres (science-fiction, fantastique, polar, etc.). Dans le sillage des pierres est leur premier recueil de nouvelles, qui plus est formant un tout narratif. On appelle ça (je l’apprends) des nouvelles interconnectées – ce qui me fait penser à l’album concept pour une référence musicale. C’est apparemment un genre en soi, et il y des exemples célèbres, comme Les chroniques martiennes de Ray Bradbury. Mais là, l’originalité est que chaque nouvelle est écrite par un membre du collectif différent. Les nouvelles co-existent dans le même univers, la même trame, se répondent les unes aux autres, se prêtent des personnages, échangent même un dialogue au téléphone…
Avec Dans le sillage des pierres, on a affaire à du fantastique mâtiné de science-fiction, et ça se passe en Suisse, qui après tout n’est pas un mauvais théâtre pour le genre (qui se souvient du film Phenomena ?). Pour les références, on pense évidemment à 2001 L’odysée de l’espace, monolithe oblige, mais on songe aussi aux grands auteurs qui ont décrit des technologies extraterrestres incompréhensibles pour l’homme, comme les frères Strougatski (Stalker) ou Stanislas Lem (La voix du maître). Dans un registre plus léger, le thème d’une des nouvelles m’a rappelé le film Cocoon (qui se souvient de Steve Guttenberg ?). Tout ça pour dire que je suis dans le public cœur de cible.
Mention spéciale à la première nouvelle du recueil, écrite par Tu Wüst. Une ambiance d’aventure, un bon rythme, et une chute qui est un modèle du genre, un vrai coup de poing. Le seul inconvénient, c’est qu’après celle-ci, difficile pour les autres nouvelles de régater… Mais ça fonctionne quand même plutôt bien. Dans les textes qui m’ont le plus séduit, citons aussi la nouvelle de Tristan Piguet, qui donne dans le registre de l’horreur pour un résultat assez tripant, celle de Christophe Künzi, qui explore davantage le côté science-fictif, et celle de Natalia Aparicio, aux accents lovecraftiens, et où l’on plonge dans les « montagnes hallucinées ». Le titre de la nouvelle d’Aparicio, Celui qui crie dans la montagne, est aussi une référence (j’imagine) à la nouvelle de Lovecraft Celui qui chuchotait dans les ténèbres. (L’auteur de SF Roland C. Wagner avait également écrit une nouvelle lovecraftienne au titre fendard de Celui qui bave et qui glougloute.)
Je récitais, sans savoir d’où je tirais ce texte, les bras écartés. Je ne reconnaissais plus vraiment ma voix. Était-ce un phénomène semblable à la glossolalie ? Je m’entendais comme si j’étais ailleurs.
« Je suis la voix de celui qui crie dans la montagne. Je suis celui qui est. Je suis un et indivisible. Je suis toutes les dimensions. Je suis le début, le centre et la fin. Et je suis aussi l’infini. » […]
J’ai senti sur moi le regard pesant des montagnes hallucinées. Tu me chuchotais Tes mots pleins de Ton Amour depuis les ténèbres. Des effluves mêlant aromates des Indes, épices du Levant et fleurs des Alpes fraîchement coupées nous parvenaient.
J’ai repris mes esprits. Maintenant je sentais la présence du monolithe.
Dans le sillage des pierres, collectif Polyphème, p.176-7
Un mot pour terminer sur la confection du livre édité par la maison PVH éditions. Plus large mais moins haut qu’un poche folio, c’est un format assez attractif, même si le texte est un peu dense à mon goût. Ce qui est original, c’est que la première de couverture se la joue un peu quatrième, avec code-barre et résumé du livre. À noter aussi un graphisme intéressant et une illustration soignée. Pour ne rien gâcher, la couverture a des reflets métalliques qui rappellent les plus belles années des couvs d’Ailleurs et Demain.

- Dans le sillage des pierres, du collectif Polyphème, 2024, PVH éditions, 224 pages.