Le mensonge suffit, de Christopher Bouix, est un court roman de science-fiction qui vient de paraître en avril 2025 aux éditions Au Diable Vauvert. C’est une satire prenante et plutôt rigolote, ce qui est bienvenu dans une production générale qui, je trouve, manque souvent de légèreté et d’humour.
Le roman a un dispositif narratif original : on suit deux heures d’une sorte de jeu télévisé durant lequel un homme doit se défendre du crime dont il est accusé par un androïde animant le show. À la fin de ces 120 minutes, l’homme sera condamné ou innocenté par le vote du public. C’est un bon pitch, et Bouix mène ça tambour battant et semble-t-il avec beaucoup de plaisir.
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Le mensonge suffit, p. 80
Bouix est l’auteur de deux autres romans d’anticipation à l’humour grinçant qui prennent place dans le même univers, Alfie et Tout est sous contrôle, toujours chez le même éditeur. Je n’ai pas lus ces romans-là, mais aucun problème puisqu’ils peuvent se lire indépendamment les uns des autres. J’avais été intrigué par le pitch de ce troisième roman, et en général je suis plutôt bon client de ce que publie Au Diable Vauvert, comme je le mentionnais à une autre occasion ici. Cet éditeur occupe une place un peu à part entière dans le paysage éditorial francophone, touche à tout et inclassable, se tenant un peu à la frontière entre littérature générale et de genre. Le Diable aime les mélanges et ne se soucie pas trop des étiquettes, publiant ainsi des thrillers, de la SF, du fantastique, mais aussi des récits, des essais, du théâtre, et même de la poésie.
Revenons-en au livre de Bouix. On ne criera peut-être pas au génie, contrairement à une citation sur la quatirème de couv, mais c’est bien écrit et il y a de bonnes trouvailles, comme ce narrateur qui commente en live la progression de cette nouvelle forme de métatélé, et qui nous abreuve de statistiques et de bons conseils moralisants sponsorisés par le gouvernement, ou encore la valeur nette de l’existence, une mesure précise et monétaire de la vie de tout un chacun. Il y a aussi quelques piques amusantes contre la bien-pensance érigée en devoir civique.
” Vous êtes actuellement 100% à estimer qu’une carrière professionnelle stable est indispensable pour réussir sa vie personnelle et familiale. Des chiffres qui s’inscrivent parfaitement dans la dernière campagne gouvernementale d’épanouissement par le travail. Souvenez-vous du slogan : « Un travail, ce n’est pas seulement une façon de gagner sa vie. C’est une façon d’aider les autres ! » Quand vous travaillez, vous aidez la société à devenir meilleure, plus performante, productrice de biens et de richesses. Le travail n’est pas un droit, c’est un devoir d’humanité ! “
Le mensonge suffit, p. 54
Si la satire est savoureuse, elle n’est pas particulièrement originale. On a déjà vu ça, et même en plus féroce, dans par exemple ce bon vieux film d’Arnold datant de 1987, The Running Man. (Je n’ai pas lu le bouquin de King dont le film est inspiré.) Et il y a une sorte de paradoxe, je suppose délibéré, dans Le mensonge suffit. On est dans le futur (l’an 2143), mais le contexte et l’esthétique (p. ex. la couverture, ainsi que des illustrations intérieures de fausses publicités) sont volontairement vieillots et rétrofuturistes, évoquant plus les années cinquante du XXe siècle que le XXIIe siècle. Et avoir un commentateur pour l’émission, ça rappelle un peu Guy Lux, pour le coup. La situation familiale du protagoniste (marié, deux enfants), ainsi que la trame qui se noue (conflits sur fond de statut social, brouille familiale avec le beau-père à cause de l’argent), sont également datés. Alors oui, c’est décalé, c’est plutôt amusant, mais on en a vite fait le tour quand même.
Cela reste un détail, mais le dispositif narratif choisi pose quelques problèmes de cohérence. Est-ce toujours le commentateur qui raconte l’histoire ? Pourquoi le commentateur décrit les faits et gestes des protagonistes si tout le monde est connecté et peut les voir ? Rien de vraiment rédhibitoire, et c’est peut-être un petit prix à payer pour l’originalité du dispositif.
Pour conclure, c’est un bon roman qui se lit vite, et qui fait fréquemment sourire, ce qui est déjà beaucoup. Mais il ne faut pas s’attendre à y trouver beaucoup de grain science-fictif à moudre – cela reste sur les sentiers battus.

- Le mensonge suffit, de Christopher Bouix, 2025, Editions Au Diable Vauvert, 184 pages.