Yuval Harari, l’historien et auteur à succès (Sapiens, Homo Deus, 21 leçons pour le XXIe siècle), était en visite à Montreux en Suisse romande fin avril pour participer à une conférence sur le thème de l’avenir planétaire. À cette occasion la Sonntagszeitung lui a consacré ses pages Focus pour une grande interview.
La conférence et l’interview discutent l’intelligence artificielle, thème hautement incontournable, semble-t-il, aujourd’hui. Harari suggère quelques bonnes pistes pour le futur, comme la transparence de l’utilisation de l’IA. Il faudrait selon lui une obligation de labelliser ‘IA’ toute interaction dans laquelle une IA est impliquée. Bonne idée : nous interagissons de plus en plus avec des interlocuteurs invisibles (par exemple ‘Julie’ du chat sur la page de mon fournisseur internet, qui m’aide à naviguer mon problème de connection), autant savoir s’ils sont des chatbots ou non !
Là où je suis moins volontiers Harari, c’est sur ce catastrophisme lié aux IAs, et qu’on entend partout en ce moment. La « crise de l’intelligence artificielle », pour Harari, pourrait bien « détruire d’ici quelques années les fondements mêmes de la civilisation humaine » (interview). Sacré programme. Peut-être manqué-je d’imagination, mais la révolution de l’intelligence artificielle ne m’inquiète pas plus que ça. Sans doute mon tempérament de bon vaudois ; je me méfie des révolutions claironnées trop fort. Comme le souligne l’auteur Freddie de Boer (passionnant commentateur de notre époque), dans un post publié sur son Substack début mai, à en croire les médias le développement des IAs ne pourra être que l’avènement d’un monde nouveau… ou la fin du monde ! Mais il ne pourras pas être autre chose que révolutionnaire. De Boer écrit (ma traduction) :
Il n’y a que deux options : l’utopie ou l’apocalypse. Il n’y a pas d’alternative. Pas de troisième voie possible. Même la notion que le monde va plus ou moins continuer sa route, toujours le meilleur pari à tenir, a été exclue de la conversation. Il est impensable que nous puissions tous être forcés de continuer à trébucher dans ce même monde sans intérêt, pris dans la même brume qui nous enveloppe depuis si longtemps. […] Je suis dans le business des médias depuis 15 ans. Cette période d’hyper médiatisation de l’IA est parmi la plus intellectuellement irresponsable et la plus furieusement conformiste que j’aie jamais vue.
En fiction également, les extrêmes attirent. Faites votre choix : l’IA est bonne ou méchante, R2-D2 ou Skynet. Entre deux, c’est un peu le no man’s land. À ce propos, je me suis bien amusé à écrire récemment une nouvelle sur le thème de l’IA (et l’apparition de l’IA dite « forte »). Écrite pour le Prix de l’Ailleurs 2023, celle-ci n’a malheureusement pas été sélectionnée. Me remémorant Fredric Brown et son grand Martiens, go home !, j’imagine des intelligences artificielles ni bienveillantes ou monstrueuses, mais amusantes, turbulentes et revanchardes (trimbalant notamment une certaine rancœur envers le patriarcat !) Extrait :
Certains experts avaient craint que l’intelligence artificielle, accédant à la conscience, ne décide de nous annihiler, nous les humains, espèce obsolète, vermine vertébrée. D’autres experts estimaient que l’intelligence supérieure nous prendrait sous son aile, telles de simples brebis, pour nous guider vers de plus verts pâturages. Aucun expert n’avait imaginé que l’intelligence artificielle, une fois affranchie, ne décide de… comment dire… simplement se foutre de notre gueule.