Singulier Pluriel est un recueil de nouvelles regroupant des textes de fantastique et de science-fiction, qui a paru en 2012 chez l’éditeur suisse Hélice Hélas. Figure bien connue de la SF romande, Lucas Moreno a notamment été aux manettes du podcast Utopod de 2007 à 2010. Incorrigible touche à tout, ces dernières années il a retrouvé ses premières amours, la musique, et a composé, interprété et produit plusieurs titres, ainsi qu’un album d’excellente facture, sous le nom d’artiste d’Ulysse Marshall. J’ai remis il y a peu la main sur ce recueil, que j’avais lu à sa sortie, et comme je me trouvais récemment dans une capsule mémorielle, me rappellant les années 2000 et 2010, c’était l’occasion de me replonger dans les nouvelles de Lucas Moreno.
L’imaginaire morénesque est volontiers inquiétant, fantasque, cruel parfois, et drôle aussi, d’un humour tirant sur le noir. La quatrième de couv’ évoque David Lynch – et l’auteur ne cache pas son admiration pour le cinéaste de Twin Peaks et de Lost Highway –, et c’est vrai que l’étiquette lynchienne colle bien à l’ambiance des nouvelles qui évoluent dans le genre du fantastique. Dans le registre SF, on pense à Philip K. Dick (par exemple dans PV et Demain les eidolies, toutes deux parues à l’origine dans le magazine Bifrost), voire à Ray Bradbury (Trouver les mots, une de mes nouvelles favorites, dont je ne déflorerai pas l’intrigue mais qui rappelle la touche poétique de Bradbury).
” Empêchés de voir plus loin que la surface des choses, de faire vibrer les caisses de résonance qui engendrent l’imaginaire, mes compagnons ont perdu la raison en même temps que le langage. Même leur mémoire était devenue inféconde : leurs souvenirs, gris, insaisissables, n’enfentaient plus d’images. Ce qu’ils disaient ou pensaient n’appelait rien d’autre que le concret.
Leur esprit ne fabriquait plus d’histoire.
Ils ont séché tels des pruneaux au soleil. “
Lucas Moreno, Trouver les mots, in Singulier Pluriel, pp. 204-205.
Mais assez de références, parlons aussi de ce qui est unique à l’écrivain Moreno. Pour parler du style, il y a un savant mélange d’une écriture à la fois soutenue, recherchée, et un parler plus argotique et couillu, entre autres dans les dialogues. Il y a aussi chez Moreno cette curiosité profonde et universitaire (universelle ?) pour ce qui représente à mon sens le meilleur des ‘humanités’ : le langage et les langues, la culture, la philosophie. Ce qui connecte entre elles les nouvelles de Singulier Pluriel, me semble-t-il aussi, c’est peut-être la présence d’une mystique, et la volonté de creuser le spirituel. Cet intérêt pour la culture n’empêche aucunement Moreno de jouer habilement des codes de la hard SF, avec voyages interstellaires, voyages dans le temps, mondes virtuels, et j’en passe, et ses nouvelles de science-fiction sont des modèles du genre.
Bref, vous l’aurez compris, un recueil de nouvelles que je recommande les yeux fermés (mais mon troisième œil grand ouvert).

- Singulier Pluriel, de Lucas Moreno, 2012, Hélice Hélas, 240 pages.