Institut de virologie de Wuhan, image Wikimedia Commons. Les origines du covid suscitent toujours le débat.
Le 3 juin dernier dans le New York Times paraissait un article d’opinion intitulé : « Pourquoi la pandémie a probablement commencé dans un laboratoire ». L’autrice de l’article, Alina Chan, est chercheuse postdoctorale au MIT et à Harvard. Elle a également co-signé en 2021, avec le journaliste Matt Ridley, un livre promouvant la thèse selon laquelle la pandémie de covid résulterait d’un accident, d’une fuite en laboratoire à l’institut de virologie de Wuhan, en Chine (lab leak theory). Cet article d’opinion a reçu beaucoup d’attention, et des louanges aussi bien que des condamnations.
L’équipe de This Week in Virology (TWiV) est notamment revenue sur cette question dans une émission spéciale disséquant les preuves et discutant de l’état des connaissances. Disons le sans nuances, l’équipe de TWiV ne donne aucun crédit aux thèses de Chan.
Rappelons qu’il y a essentiellement deux théories qui sont mises en avant sur les origines de la pandémie: d’une part une zoonose (le passage du virus d’un hôte animal vers un hôte humain), avec comme hôte original une chauve-souris, ayant eu lieu dans le marché aux fruits de mer de Huanan, qui vendait également des animaux vivants ; d’autre part une contamination accidentelle de chercheurs par le virus durant leurs travaux, au sein de l’institut de virologie de Wuhan (WIV), contamination qui n’aurait pas été contenue et se serait propagée dans la population. Mettons tout de suite les cartes sur la table. À l’heure actuelle, l’exacte origine de la pandémie n’est pas connue, et il est possible qu’elle ne le soit jamais. Néanmoins, il y a prépondérance de preuves scientifiques pointant vers la zoonose, et donc nous devons traiter celle-ci comme l’hypothèse la plus vraisemblable, avec le bémol que de nouvelles informations pourraient changer la donne.
Beaucoup d’articles (scientifiques ou autres) ont été publiés sur ce sujet. J’ai trouvé particulièrement utile, honnête, et bien pesé, le résumé des preuves rédigé par les chercheurs américains James Alwine, Lynn Enquist, et trois rédacteurs en chef de revues scientifiques publiées par la société américaine de microbiologie : Arturo Casadevall (mBio), Felicia Goodrum (Journal of Virology) et Michael Imperiale (mSphere). Cet article, publié fin mars 2023, nous prévient d’emblée qu’une détermination définitive des origines du covid restera peut-être impossible. Une des raisons est que toutes les preuves sont circonstancielles (j’en fais un inventaire partiel un peu plus bas).
« Les meilleures preuves scientifiques actuelles soutiennent une origine directe par zoonose. À mesure que de nouvelles preuves continuent d’émerger d’études scientifiques ou d’autres enquêtes, notre compréhension de l’origine de SARS-CoV-2 continuera d’évoluer. Néanmoins, il est possible que son origine ne soit jamais connue avec certitude. »
Citation Alwine et al. 2023 (ma traduction)
Mais quelles pourraient être les preuves définitives en faveur de l’une ou l’autre hypothèse ? Pour la zoonose, il s’agirait par exemple d’identifier un animal vendu sur le marché de Huanan qui serait porteur de SARS-CoV-2. (Après tout, ce fut le cas de figure pour la première épidémie de SARS, en 2002-2003.) C’est quasi mission impossible, puisque le marché de Huanan fut fermé et les animaux exterminés (incinérés ou autre), peu de temps après le début de l’épidémie, pour d’évidentes raisons sanitaires. Concernant la fuite en laboratoire, il s’agirait de déterminer que l’institut de virologie de Wuhan étudiait SARS-CoV-2 avant la pandémie, et que certains de ses chercheurs furent les premières personnes contaminées par le covid. Mais comme l’expliquent Alwine et al., pour cela il nous faudrait une preuve provenant des archives de l’institut de virologie, or il n’en existe pas, et le gouvernement chinois a démenti cette éventualité. Malheureusement, la transparence chinoise n’a ici pas été exemplaire, entretenant les doutes.
Ainsi, nous devrons nous contenter des preuves indirectes. Concernant la théorie de la fuite en laboratoire, notons encore qu’il existe en fait plusieurs sous-théories, certaines suggérant que SARS-CoV-2 aurait été modifié en laboratoire par génie génétique, voire même créé de toute pièce. Mais comme le notent Alwine et al., aucune preuve ne soutient cette sous-théorie, qui n’est même pas considérée crédible par les services de renseignement américains. Le génie génétique laisse des signatures reconnaissables dans l’ADN, mais aucune signature n’est visible dans le génome de SARS-CoV-2.
Conjointement, ou peu de temps après la parution de l’article d’Alwine et al. en 2023, des éléments nouveaux sont venus redistribuer quelques cartes.
Le premier élément, c’est la découverte en mars 2023 de séquences d’ADN dans des échantillons provenant du marché de Huanan, séquences qui soutiennent l’origine par zoonose. On doit cette découverte à Florence Débarre, directrice de recherche au CNRS, qui est tombée par hasard sur les séquences alors qu’elle naviguait une base de données de virologie pour ses recherches. Jusqu’à cette date, dans les échantillons prélevés au marché de Huanan personne n’avait identifié de co-occurrence de SARS-CoV-2 avec de l’ADN animal non-humain. Grâce à la trouvaille de Débarre, il y a désormais des preuves de la co-occurrence de covid avec notamment des chiens viverrins (raccoon dogs en anglais) et des civettes, animaux vendus sur le marché. Notez que ce n’est pas là une preuve définitive que ces animaux aient été infectés par covid, mais c’est tout de même un grand pas dans cette direction.
Curieusement, immédiatement après cette découverte, les chercheurs chinois qui avaient postés les séquences dans la base de données ont demandé leurs retraits. Il n’est pas entièrement clair pour quelle raison, mais cela n’aide pas une image ternie quand il s’agit de partage des données dans la transparence… Mais peu de temps après, début avril 2023, les chercheurs chinois on publié les résultats incluant ces nouvelles données animales. Cette publication fut saluée, mais laissait encore des questions ouvertes concernant l’analyse de ces données. Pour autant, l’existence de ces séquences contribuent à affaiblir encore la thèse de la fuite en laboratoire, notamment en montrant que les échantillons collectés dans les zones du marché abritant des animaux vivants avaient plus de chance de tester positif pour le coronavirus.
Le second élément, c’est la publication en juin 2023 d’un article publié sur leur site Substack ‘Public’ par les journalistes Michael Schellenberger, Matt Taibbi et Alex Gutentag. L’article soutenait que des sources au sein du gouvernement américain auraient confirmé que les premiers patients atteints du covid ont été des chercheurs de l’institut de virologie de Wuhan (si avéré, ceci serait, comme expliqué plus haut, une preuve définitive en faveur de la fuite en laboratoire). Mais les sources gouvernementales citées restent anonymes… Il faut dire que ces révélations ne semblent pas si extravagantes, lorsque l’on sait que certains organes officiels états-uniens, tel un comité sénatorial ou encore le Département de l’Energie, ont publiquement qualifié l’hypothèse de la fuite en laboratoire de plus vraisemblable que celle de la zoonose, quoique avec un bas niveau de certitude.
Les auteurs de l’article de Public avaient suggéré que les infections au sein du WIV seraient confirmées dans des documents jusqu’ici classés secret qui devaient être rendus publics en juin 2023 par les services de renseignement américains. Au grand dam des journalistes, les documents déclassifiés ne confirment pas, voir même disent le contraire : si certains chercheurs du WIV ont en effet été malades fin 2019, covid n’a pas été diagnostiqué, et certains des symptômes répertoriés ne sont pas compatibles avec covid.
Preuves en faveur de la zoonose et contre la fuite en laboratoire, classée dans leur ordre d’importance selon ma propre appréciation :
- Tous les exemples historiques de pandémies et épidémies que nous connaissons ont eu pour origine une zoonose, aucun une fuite en laboratoire. C’est ainsi le cas pour SARS-CoV (le premier), MERS, Ebola, les coronavirus causant des rhumes, le VIH, et bien d’autres.
- L’analyse par séquençage des premiers cas de covid à Wuhan a montré que deux lignées génétiquement distinctes de SARS étaient impliquées très tôt dans la pandémie. L’existence de deux lignées distinctes est compatible avec la zoonose mais peu probable dans une fuite en laboratoire.
- L’analyse du génome de SARS-CoV-2 ne révèle aucune signature d’un passage en laboratoire ou de modifications par génie génétique. L’expérience amassée par les chercheurs sur le covid montre que le virus, une fois cultivé en laboratoire, subit systématiquement des changements caractéristiques. Ces changements ne sont pas présents dans SARS-CoV-2.
- Les données épidémiologiques ont montré que parmi les premiers cas d’infection documentés, la moitié étaient associés avec le marché de Huanan, corroborant l’idée que le marché est le foyer de la pandémie.
- De l’ADN de covid a été identifié dans des échantillons provenant du marché de Huanan qui contenaient également de l’ADN d’animaux non-humains (chiens viverrins).
- Dans les bases de données de l’institut de virologie de Wuhan, aucune séquence correspondant à SARS-CoV-2 n’a été identifiée à ce jour. Certes les séquences auraient pu être délibérément cachées, mais difficile d’imaginer qu’aucune trace ne soit restée quelque part.
Les faits parlent donc clairement en faveur de la zoonose. Et pourtant, il me faut l’avouer, un léger doute subsiste dans ma tête. La raison ? La coïncidence qui veut que la pandémie ait commencé à Wuhan, la ville qui abrite l’institut de virologie mondialement connu pour ses études des coronavirus. Cette coïncidence, je ne l’ai pas encore entendue expliquée de manière totalement satisfaisante, et malheureusement l’article d’Alwine et al. ne la mentionne pas. C’est cette extraordinaire coïncidence qu’a par exemple noté le journaliste et animateur Jon Stewart, ce qui lui a valu de recevoir une volée de bois vert. Il est regrettable que la seule mention de la possibilité de la fuite en laboratoire suscite de telles levées de boucliers, car a priori cela n’a rien de complètement farfelu.
Mais peut-être cette coïncidence est-elle moins surprenante si l’on y regarde de plus près ? C’est ce que propose de faire Brianne Barker dans l’épisode de TWiV déjà mentionné (la discussion de la coïncidence commence à 14’). Barker note qu’il n’est nullement surprenant que la pandémie ait émergé dans une grande ville comme Wuhan (7e ville du pays avec plus de dix millions d’habitants), car les premières détections d’un virus requièrent de bonnes infrastructures médicales d’une part, et d’autre part des experts capables de réaliser que cette maladie respiratoire n’est pas commune et qu’il faut l’étudier par séquençage. Certains commentateurs ont aussi souligné que la majorité des grandes villes chinoises possèdent un laboratoire travaillant sur les coronavirus. Ces points sont valides : Wuhan est une grande ville possédant les infrastructures nécessaires pour détecter une nouvelle épidémie virale. Néanmoins, on risque de passer un peu vite sur le fait qu’il y a beaucoup de grandes villes en Chine (les vingt-trois villes les plus importantes comptent au minimum cinq millions d’habitants), et surtout le fait que le WIV n’est pas juste un labo parmi de nombreux, mais LE laboratoire internationalement reconnu pour l’étude des coronavirus en Chine. La coïncidence est donc possible, et peut-être moins surprenante qu’il n’y paraît, mais elle reste, du moins pour moi, une épine dans le pied.
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