Une tranquille révolution est en marche depuis quelque temps dans les rayons de librairies : l’avancée triomphante de la romantasy (un mot-valise combinant romance et fantasy), qui vend des palanquées de bouquins à un lectorat toujours grandissant. Je ne connaissais pas le mot avant de le découvrir dans l’annonce du thème du Prix Jacques Sadoul de la nouvelle 2025, auquel je compte participer.
Je n’avais semble-t-il pas prêté suffisante attention à ce nouveau genre littéraire – mais voilà, un petit tour par ma librairie m’a récemment ouvert les yeux. Le rayon science-fiction continue à se réduire comme peau de chagrin. Le rayon fantasy se porte bien, s’est agrandi même (au détriment de la SF), mais si je reconnais bon nombre d’auteurs (Brandon Sanderson, George R.R. Martin, R. F. Kuang, Joe Abercrombie, N. K. Jemisin…), il y a aussi tout un groupe de nouveaux auteurs (et semble-t-il principalement des autrices), dont j’ignorais jusqu’ici l’existence. Rebecca Yarros, dont on parle aujourd’hui, est la tête de gondole de cette nouvelle vague de la fantasy. (Chose amusante : je découvre également qu’il existe désormais un rayon nommé New Adult, une extension du Young Adult, qui cible spécifiquement les 19-29 ans. On n’arrête pas le progrès du marketing ! J’attends avec impatience mon rayon Middle Age pour enfin savoir quoi lire.)
Rebecca Yarros, donc, est l’autrice de la saga ‘The Empyrean’, qui devrait compter cinq tomes. Les chiffres de ventes sont astronomiques. Comme le rapporte Adam Whitehead sur son blog Wertzone, le cycle a jusqu’ici vendu 12 millions de copies en seulement deux ans. Onyx Storm, le troisième volume qui a paru ce janvier, a vendu 2,7 millions de copies durant sa première semaine de vente, ce qui en fait le meilleur vendeur en fiction adulte de ces vingt dernières années, excusez du peu. Même la Sonntagszeitung consacrait un papier au phénomène Yarros le week-end dernier. Le phénomène est associé à la communauté de lecteurs BookTok, une sous-communauté de TikTok qui a propulsé plusieurs auteurs sur la liste des bestsellers.
Me voilà donc sur mon Kindle, me procurant le premier tome de cette saga, Fourth Wing, qui se passe dans le royaume imaginaire de Navarre (!?), monde médiéval-fantastique avec de la magie, des dragons, et d’autres créatures mythiques. On suit les péripéties de Violet Sorrengail, héroïne de vingt ans précipitée contre son gré dans l’académie militaire de Basgiath (Basgiath War College) pour apprendre à monter des dragons. Pour autant qu’elle réchappe à l’entraînement, qui tue chaque année une bonne moitié des cadets…
La chaleur remonte mon cou et des flammes lèchent mes joues tandis que son visage se rapproche et que ses lèvres ne se trouvent qu’à quelques centimètres des miennes. Je peux distinguer chaque tache d’or dans ses yeux d’onyx, chaque petite bosse et arête de sa cicatrice.
Magnifique. Putain de. Connard.
Mon souffle s’arrête et mon corps s’échauffe, ce sale traître. Tu n’es pas attirée par les hommes toxiques, je me rappelle, et pourtant, me voilà, devenant toute attirée. Je le suis depuis la première seconde où je l’ai vu, si j’ai envie d’être honnête.
Fourth Wing, Rebecca Yarros, p. 150, édition Kindle. (Ma traduction.)
Première surprise, Yarros ne s’embarrasse d’aucune tentative d’écrire en « faux vieux », comprenez une langue pseudo-médiévale. Tous les personnages parlent ainsi comme des jeunes d’aujourd’hui. C’est écrit à la première personne et au présent, tandis que la fantasy « classique » est à la troisième personne au passé. Alors oui, c’est original et ça n’est pas hypocrite. Mais bon, c’est tout de même un peu curieux d’entendre Violet dire qu’un tel personnage est badass, d’évoquer des toxic men, et de faire des doigts d’honneur à qui mieux mieux. Malgré le taux de mortalité élevé dans cette sympathique école, tous les personnages se comportent comme de jeunes américains au college, avec petites amours et rivalités, groupes de cool kids et de bad boys. Par moments, j’ai eu l’impression de me retrouver dans un épisode de cette série des années nonante, Beverly Hills 90210, qui suivait les aventures de Brandon, Kelly, Steve ou Dylan. On est donc clairement dans une ambiance Young Adult, mais le roman échappe à cette classification, la faute aux « fuck » généreusement distribués et aux scènes de sexe explicites (une scène en particulier).
Ça se lit vite, c’est un page turner, mais c’est un peu longuet tout de même (plus de six cents pages), et ça m’a rappelé un ennui profond que j’avais éprouvé avec un des tomes d’Harry Potter (l’ordre du Phoenix, si ma mémoire est bonne) dans lequel les héros passent une bonne partie du livre à s’entraîner dans une salle, sans que ça fasse avancer l’intrigue d’un iota. Il faut dire qu’on se sent un peu enfermé, car les 90% du livre de Yarros se passent à l’intérieur des murs de l’académie militaire. Vers la fin on découvre finalement d’autres paysages, et l’histoire y gagne, mais c’est un peu tard. Nous n’aurons pas de grandes surprises non plus avec l’intrigue. Il est clair dès les premières pages que l’héroïne Violet va finir en couple avec le bad boy de l’école, Dylan McKay Xaden Riorson, et que les dirigeants de Basgiath cachent aux cadets certaines vérités sur la guerre en cours. Notons également des tics d’écriture assez pénible. Ainsi, toutes les deux pages, et je n’exagère pas, un personnage – souvent l’héroïne – lève les yeux au ciel (“roll their eyes”) ou arque un sourcil (“arch an eyebrow”). N’en jetez plus.
Une critique un peu méchante a proposé que la romantasy, c’est de la fantasy avec du sexe mais sans intrigue ni « wordbuilding ». Il y a du vrai derrière ce taillage de costard, même si au final il n’y a pas tromperie sur la marchandise : il y a bien des dragons et de la romance… Que pourrions-nous vouloir de plus ?

- Fourth wing, de Rebecca Yarros, 2023, Entangled: Red Tower Books, 665 pages.