Contre les vaccins ? de Michel Morange, sous-titré La mécanique des doutes sur la vaccination, est un remarquable petit livre (160 pages) qui offre à la fois un résumé de l’histoire de la vaccination et une réflexion sur les réticences modernes face à cette pratique.
Il y a quelques semaines, je me lamentais ici des développements états-uniens en matière de politique vaccinale. En regardant un peu ce qui se publiait sur le thème des vaccins, je suis tombé sur ce récent livre de Morange, sorti en 2024. Michel Morange est un biologiste moléculaire qui a fait ses armes dans le labo du grand François Jacob, et qui s’est tourné progressivement vers l’histoire et la philosophie des sciences. Auteur toujours stimulant et original, Morange a notamment publié Une Histoire de la Biologie (2017) que je ne pourrais plus chaudement recommander à tous les intéressés – c’est le meilleur ouvrage du genre qu’il m’ait été donné de lire, depuis au moins l’Esquisse d’une histoire de la biologie de Jean Rostand (1945), c’est vous dire.
La réticence vaccinale n’est pas nouvelle, mais persiste encore aujourd’hui de façon parfois inattendue et combative. En Suisse, on a pu le constater durant la crise du covid et ses suites, avec entre autres le mouvement Mass-Voll de Nicolas Rimoldi, le Francis Lalanne suisse. Pourquoi cette persistence de la résistance ? Le livre de Morange propose des pistes intéressantes. Un vaccin, contrairement à un médicament, doit se prendre avant que des symptômes ne se déclenchent, ce qui est un obstacle, d’autant plus pour des maladies qui, justement grâce à l’efficacité vaccinale, ont pratiquement disparu de nos sociétés industrialisées. Nous avons collectivement la mémoire courte : qui se souvient des ravages de la polio ou de la diphtérie ?…
[L]es statistiques ne disent rien des cas rares mais non nuls où un vaccin provoque un effet secondaire grave. Face à une maladie en général bénigne mais parfois mortelle contre laquelle il faudrait protéger leurs enfants par un vaccin, les parents ne voient souvent que le risque très faible mais rapidement confirmé que la vaccination ferait courir et dont, par leur approbation, ils porteraient la responsabilité. Le récit d’une vie brisée à beacoup plus de poids auprès du public que les preuves que le vaccin a sauvé des milliers de vies.
Michel Morange, Contre les vaccins ?, pp. 9-10
Contre les vaccins ? est surtout un playdoyer pour l’explication, l’humilité, et la transparence. Explication des phénomènes, tout d’abord, car selon l’auteur une véritable acceptation du public ne peut découler que de la compréhension des mécanismes biologiques et des enjeux médicaux. Humilité et transparence, ensuite, car les chercheurs sont loin de tout comprendre dans les processus immunitaires, on l’a bien mesuré lors du covid, et il vaut mieux avouer son ignorance que de marteler une certitude de façade, car le public n’oubliera pas. Il faut aussi ne pas glisser sous le tapis les accidents et les effets indésirables liés à la vaccination : ils sont certes rares, mais cela n’a aucun poids si l’on est soi-même touché !
Humilité donc, mais qui ne nous fait pas oublier pour autant les développements impressionnants accumulés durant des décennies.
On entend souvent dire aujourd’hui qu’il est impossible de faire confiance aux vaccins ARN car ils ont été développés « trop vite » ! Faire une telle déclaration est ignorer complètement le long processus qui leur a donné naissance.
Michel Morange, Contre les vaccins ?, p. 108
Si le livre de Morange propose un utile éclairage historique et technique, compte tenu du format court il ne peut trop entrer dans les détails. Pour ceux qui voudraient en savoir plus, je recommanderais La saga des vaccins contre les virus, de Jean-François Saluzzo, chercheur ayant une grande expérience dans l’industrie pharmaceutique et le développement de vaccins. L’ouvrage est plus ancien (2011), et comme le titre l’indique il n’est question ici que de maladies virales, mais Saluzzo donne des détails techniques éclairants sur notamment les modes de production des différents vaccins et sur des faits historiques parfois oubliés ou ignorés.
En conclusion, un excellent ouvrage qui ouvre la discussion mais n’équivoque pas le bénéfice sociétal et humain de la vaccination. Et un rappel important pour la communauté scientifique : le devoir d’expliquer et de ne pas nier les difficultés. Morange : « La défiance généralisée n’est certainement pas la solution ; elle doit être remplacée par un confiance critique ».

- Contre les vaccins ?, de Michel Morange, 2024, Belin Éducation, 160 pages.