Image: Colossal Biosciences
Depuis maintenant quelques années, un groupe de scientifiques et d’entrepreneurs agitent la muleta de la désextinction, et les journalistes, dont beaucoup ne peuvent résister au hype, se jettent sur ce leurre et pondent article après article sur le retour du mammouth, du dodo ou encore du loup terrible.
Le dernier en date ? Ce week-end, la Sonntagszeitung étale sur une page et demie une interview de Beth Shapiro, la directrice scientifique de Colossal Biosciences, la compagnie phare du mouvement de désextinction. C’est un bon condensé de toutes les thématiques qui reviennent constamment sur le sujet. À leur crédit, les journalistes posent quelques questions pointues, même s’ils n’insistent pas trop quand Shapiro botte en touche (souvent).
Faisons peut-être un pas de côté pour expliquer le contexte. Depuis Jurassic Park, le grand public est familier avec l’idée que l’on pourrait ramener des espèces éteintes à la vie grâce à leur seul ADN et à une bonne dose de technologie. Dans le monde scientifique, le boom de l’analyse d’ADN fossile ces dernières décennies a d’ailleurs conduit à des découvertes fascinantes (qui ont notamment valu le prix Nobel à Svante Pääbo). Peut-on donc utiliser de l’ADN fossile pour faire revivre un animal disparu ? Pas si simple, explique le biologiste Jerry Coyne dans un article pour le Boston Globe. Si nous pouvons reconstituer la séquence complète, nous n’avons que des fragments de génome des animaux disparus, et pas la capacité de synthétiser des chromosomes entiers. Et si quand bien même nous l’avions, resterait encore la gageure d’introduire ce génome dans une cellule ‘porteuse’ dans laquelle il pourrait fonctionner… La solution de Colossal consiste à cibler quelques gènes fossiles et à les introduire dans une espèce animale proche (un éléphant asiatique dans le cas du mammouth), de façon à ce que l’animal hybride exprime des caractères de l’animal disparu. Ainsi l’éléphant hybride serait poilu et tolérerait mieux le froid. Si cela vous semble un peu facile, et loin de ramener à la vie une espèce défunte, c’est parce que ça l’est.
Dans le cas du mammouth, ce que nous aurons (peut-être) un jour, c’est un éléphant d’Asie doté de quelques caractéristiques propres au mammouth. Or, quelques traits ne suffisent pas à faire un mammouth. Je peux peindre ma Ford Taurus en rouge vif, et même y apposer le logo Ferrari, cela reste une Ford Taurus, malgré quelques traits de Ferrari.
Jerry Coyne, De-extinction is a colossal disappointment, Boston Globe, 1er mai 2025
Ainsi, la désextinction a des airs de fumisterie. Et pourtant, derrière, il y a des talents et des moyens. Beth Shapiro n’est pas une illuminée ; elle est professeure de paléogénomique à UC Santa Cruz, excusez du peu. Et à ce jour, Colossal Biosciences a obtenu pas moins de 500 millions de dollars auprès des investisseurs… Il faut la lire, Beth Shapiro, dans l’interview mentionnée, faire une belle gymnastique mentale pour affirmer que oui, ils ramènent bien à la vie des espèces disparues, et que ceux qui disent le contraire ne sont que des grincheux qui pinaillent sur la sémantique. L’argent fait décidément des miracles !
Ce qu’il faut bien reconnaître à l’équipe de Colossal Biosciences, c’est l’art consommé du colossal coup de pub. D’abord l’idée du mammouth, qui est l’animal préféré de tous après les dinos. Et puis, surtout, l’idée de génie de surfer sur la popularité de Game of Thrones en prétendant ramener à la vie le loup terrible (direwolf) en clonant quelques gènes dans le loup gris. Ils ont même nommé un des trois louveteaux obtenus Khaleesi en référence à la série (les deux autres sont Romulus et Remus, plus classique). Résultat : la couverture de Time Magazine, et George R. R. Martin qui en parle sur son blog ! Chapeau bas, les communiquants de Colossal.

Après, certes, il y a des prouesses de biologie moléculaire et d’ingénierie génétique là-derrière, je ne le nie pas. Mais tout cela est eclipsé par l’extrême mauvaise foi qui percole dans toute la communication de la compagnie. À la question de pourquoi le monde aurait besoin à nouveau du mammouth, Beth Shapiro répond que le mammouth peut jouer un rôle écologique : aérant les sols et créant de nouveaux habitats pour les plantes et les animaux. Comprenez, le mammouth à la rescousse de l’écosystème ! A-t-elle dit ça aux journalistes en gardant un visage impassible ? Si oui, c’est une prouesse qui mérite un bonus.
Ce que propose Colossal Biosciences, au final, ce n’est rien d’autre que le cosplay des animaux à grands coups de CRISPR-Cas. Regardez ma souris poilue, c’est un mammouth miniature !
