J’étais un grand lecteur de science-fiction pendant mon adolescence, dans les années nonante. Puis, suivant un élan naturel, j’ai peu à peu délaissé la SF au profit de littératures et d’auteurs considérés comme plus ‘sérieux’. Mais voilà que je me sens, au tournant du XXIe siècle, dans ma petite vingtaine, prêt à retourner au bercail. Il faut dire que l’époque est propice. La SF et la Fantasy deviennent ‘mainstream’. L’année 1999 a marqué le grand retour de la Guerre des Etoiles (épisode I) et, surtout, le début de la saga Matrix (en bon lecteur de SF, je ne comprenais pas les gens qui à l’époque déclaraient que l’intrigue du film était ‘très compliquée’…). Peu de temps après va suivre Le Seigneur des Anneaux. Les mauvais genres ont le vent en poupe.
Dans les années 2000, la SF francophone est aussi en mouvement. Je me souviens d’une effervescence sur de nouveaux sites et forums : le Cafard Cosmique et ActuSF démarrent tous deux en 2003. Ces nouveaux espaces de partage agrandissent un domaine jusqu’ici dominé par les revues traditionnelles (telles Galaxies et Bifrost, toutes deux lancées en 1996). Si le Cafard ferme ses portes en 2011, beaucoup se souviennent de cette aventure avec affection. Les autoproclamés ‘connards élitistes’ du Cafard ont fait beaucoup pour raviver chez moi (et chez beaucoup d’autres) l’intérêt pour la littérature SF : goûts éclectiques, chroniques intelligentes et bien ficelées, forum animé et assez fendard. Bref, un ton unique qui n’a d’ailleurs jamais vraiment été remplacé.

ActuSF, toujours en activité (ainsi que les éditions du même nom), se concentre davantage sur le partage de news et d’événements. Mais ActuSF a eu un impact important et durable, et on lui doit quelques moments d’anthologie, comme le fil ‘M’ sur son forum. Rappelons un peu l’histoire : en 2008, le landernau de la SF est excité par l’annonce que Serge Lehmann publiera une nouvelle anthologie, dix ans après son fameux Escales sur l’horizon, et aussi pour célébrer les dix ans de la collection Lunes d’encre chez Denoël. Lehmann ouvre un appel à textes pour l’occasion, et la nouvelle antho, titrée Retour sur l’horizon, a paru en 2009 et compte quinze nouvelles par des auteurs confirmés ainsi que des nouvelles plumes. L’antho est bien reçue, mais c’est la préface de Lehmann qui fera couler le plus d’encre, et lancera ce fameux fil M, qui durera un an et générera plus de sept cents pages sur le forum d’ActuSF.
C’est durant ces années-là, et grâce au Cafard, à ActuSF, et à d’autres (Elbakin, Yozone, CultureSF,…) que j’ai découvert d’excellents auteurs tels, dans le désordre : Andreas Aeschbach, Terry Bisson, Thierry di Rollo, William Burroughs, Brian Aldiss, Roger Zelazny, Kurt Vonnegut Jr., Bret Easton Ellis, René Barjavel, Georges Panchard, Mervyn Peake, Pierre Grimbert, Fabrice Colin, Jérôme Noirez, Mélanie Fazi, John Brunner, William Gibson, Greg Bear, Philippe Curval, China Miéville, Jeff Vandermeer, Ursula Le Guin, Connie Willis, Boris et Arkadi Strougatski, Pierre Bordage, Richard Morgan, Joe Abercrombie, Xavier Mauméjan, Greg Egan, Christopher Priest, Jeff Noon, George R. R. Martin, Peter Watts, Kim Stanley Robinson, Paolo Bacigalupi, et bien d’autres encore…

Dans les années 2000, la SF suisse romande n’est pas en reste. Vers 2003, l’auteur Vincent Gessler lance les mercredis de la SF, des rencontres mensuelles de passionnés, se tenant d’abord à Genève, puis ensuite également à Lausanne. En 2005, Georges Panchard crée la sensation en publiant son roman Forteresse dans la collection Ailleurs et Demain, alors qu’aucun francophone n’y avait été publié depuis une vingtaine d’années. Entre 2007 et 2010 le podcast Utopod, piloté par l’ami Lucas Moreno (lui-même auteur et traducteur), audiopublie des nouvelles de l’imaginaire d’auteurs francophones et internationaux. En 2009, l’écrivain et critique Jean-François Thomas publie une anthologie historique de la SF suisse romande, Défricheurs d’imaginaire, regroupant des textes allant de 1884 à 2004. Celle-ci sera suivie en 2010 par l’anthologie Dimension suisse, concoctée par Vincent Gessler et Anthony Vallat (également auteur et essayiste), et qui regroupe des auteurs romands contemporains. Pour terminer, toujours en 2010, l’auteur suisse Sébastien Cevey lance la revue électronique Angle Mort, avec son comparse l’auteur français Laurent Queyssi. On peut le voir, une décennie bien remplie pour la SF romande !
C’est durant ces années 2000 que je suis devenu mûr pour tâter de la fiction. J’avais déjà, entre seize et vingt ans, pondu quelques textes, comme tout un chacun, rien de bien intéressant ou publiable. En 2002, j’ai suivi un cours d’écriture de scénario avec l’excellente Emmanuelle delle Piane (beau souvenir et beaucoup d’éclats de rire avec les participants). En 2004, j’ai participé à l’atelier d’écriture de SF de la non moins excellente Sylvie Poza, qui anime désormais Alchimie du Verbe. Là encore, j’y ai beaucoup appris, et fait de belles rencontres. Merci à elles, grâce à qui j’ai progressé suffisamment pour publier mes premières nouvelles dans des anthos, comme celle-ci, en 2006. Puis, ce qui a été décisif pour moi : de 2007 à 2010, j’ai fait partie du groupe d’écriture le plus cool de l’univers. De ces quatre ans, je garde un souvenir extraordinaire, peut-être un chouïa de nostalgie, mais surtout l’immense plaisir d’avoir fait partie de l’aventure, et d’avoir pu rencontrer un groupe d’auteurs talentueux, généreux, drôles, et cinglés juste ce qu’il faut. Ceux qui en étaient s’y reconnaîtront, si par hasard ils lisent un jour ces quelques lignes. Salut à vous, camarades.
Comme par effet de balancier, les années 2010 ont été pour moi moins occupées par la SF et la fiction en général, et davantage tournées vers l’écriture scientifique, par exemple ici. J’ai le sentiment, nul doute biaisé par mon retrait relatif, que la SF francophone était également moins active ces années-là, même s’il faut noter en Suisse romande des développements importants comme la création des éditions Hélice Hélas en 2011 ainsi que le lancement du Prix de l’Ailleurs en 2017.
Réjouissons-nous, car il semble que les années 2020 ramènent la SF et la Fantasy en haut de la vague en Romandie, à en juger par les nombreux nouveaux auteurs et autrices qui publient aujourd’hui, l’activitié de collectifs (Gahelig, Polyphème), et les événements publics (Arcana, Alterfictions). Clairement une période excitante pour tous les amoureux des mauvais genres !