The Devils est le nouveau roman de l’auteur britannique Joe Abercrombie, sorti au printemps 2025. Voilà déjà près d’une vingtaine d’années que j’ai découvert Abercrombie et sa première œuvre, la trilogie de fantasy The first law – en ce qui me concerne l’une des meilleures parue au XXIe siècle. Je n’ai pas tout lu Abercrombie, loin s’en faut, mais j’y reviens toujours périodiquement, car le bonhomme est talentueux en diable, inventif, drôle, avec un sens génial des personnages et des dialogues.
On colle fréquemment à Abercrombie l’étiquette Grimdark, comprenez une fantasy avec des personnages ni blancs ni noirs, moralement ambigus, bref pas des anges et loins des canons du genre de la fantasy épique à la Tolkien (George R. R. Martin et Game of Thrones est un bon exemple de cette tendance). Mais bon, sincèrement, rien d’étonnant à ce que la fantasy ait évolué avec le temps et l’étiquette semble superflue. C’est la maladie du moment : il faut tout cataloguer, il faut multiplier à l’infini les catégories, comme je le notais ici.
La plupart des livres d’Abercrombie se passent dans le même univers de fantasy, celui de la Première loi, mais The Devils inaugure une nouvel univers original, médiéval et uchronique, pour un one-shot qui pourrait bien se décliner en série. Dans le monde de Devils, les anges et les démons sont bien réels, tout comme les elfes, contre qui les croisades ont été menées. L’Eglise chrétienne est féministe, avec des femmes prêtres et même une papesse – et pour cause : le Christ est une femme, morte non pas sur la croix mais suppliciée sur une roue, et le cercle est naturellement devenue le symbole de la chrétienté. Troie n’est pas tombée – le cheval fut un flop – et Carthage a pris l’ascendant sur Rome. La trame du livre tourne autour d’un groupe de « monstres » (vampire, loup-garou, elfe, magicien,…) mis au service forcé de la papauté pour des missions secrètes et périlleuses (un suicide squad gothique sous la plume d’Erik Klain, critique de Forbes)
Un gros pavé qui se lit vite, bien écrit et amusant, pour ma part un divertissement parfait pour les vacances. On y retrouve la marque de fabrique Abercrombie : l’humour acerbe, les combats violents et palpitants, les personnages bien campés avec leur petites phrases accrocheuses, des leitmotivs qui ponctuent le récit (le vampire pour qui telle ou telle destination est toujours « magnifique à cette époque de l’année »). Peut-être Abercrombie en fait-il parfois un peu trop avec ces leitmotivs, comme le note Erik Kain, et ceux-ci ne fonctionnent c’est vrai pas aussi bien que dans la The first law (Logen et son fameux ‘you have to be realistic about these things’). Et, comme le note Mark Yon sur SFFWorld, The Devils péche également par quelques excès – dans des descriptions gores, de l’humour trop appuyé, ou encore certaines batailles qui tirent en longueur. Pourtant, on aurait tort d’être sévère si The Devils n’atteint pas les auteurs de The first law. C’est l’inconvénient de commencer avec un coup de maître : tout ce qui suit est forcément un cran (ou deux) en dessous. Si l’intrigue de The Devils est parfois répétitive, on ne boudera tout de même pas notre plaisir grâce à de grands moments d’aventure, des combats dont seul Abercrombie a le secret, des ennemis tout droit sortis de l’île du docteur Moreau, et maintes retournements de situation et traîtrises comme dans les meilleurs romans de cape et d’épée.
Ce qui m’impressionne le plus, chez Abercrombie, c’est sa narration qui entrelace semble-t-il sans efforts les descriptions, l’action, les dialogues, et le worldbuilding. Pour moi il dépasse même un des maîtres en la matière, George R. R. Martin. Il y a l’humour aussi, et c’est assez rare pour être noté. Mais l’humour n’empêche pas le sérieux, et les personnages ont de vrais enjeux et des arcs narratifs accomplis. Un bel exemple de roman populaire, bien fichu, et attachant.

- The Devils, de Joe Abercrombie, 2025, Tor Books, 553 pages.