Reconnaissons une chose à Ueli Maurer : il n’hésite pas à dire le fond de sa pensée, même quand sa pensée touche le fond. Ainsi, dimanche dernier, l’ancien ministre suisse des finances était en interview, conjointement dans Le Matin Dimanche et la SonntagsZeitung, pour parler pandémie (beaucoup) et Crédit Suisse (un peu).
Ce n’est pas un secret que durant la pandémie Maurer était, au sein du Conseil fédéral, celui qui s’opposait le plus aux mesures Covid, celui qui doutait le plus ouvertement du vaccin, et celui qui exigeait la réouverture la plus rapide. Nous sommes en 2024, quel regard porte-t-il sur les événements de 2020 et 2021 ?
Eh bien, coupons court à tout suspense, l’ex-ministre persiste et signe. La pandémie a provoqué une « hystérie » et une « hypnose » dont personne ne pouvait plus s’échapper. Bref, beaucoup de bruit pour rien selon lui, pour une pandémie qui était moins mortelle qu’on le craignait ; il eût suffi de « protéger les groupes à risque », dixit Maurer. Le vaccin ? « Un certain scepticisme est de mise », et « il est clair que le vaccin n’a pas tenu ses promesses ».
Pour illustrer l’hystérie, Maurer nous gratifie d’une anecdote révélatrice. Durant la pandémie, en randonnée dans le canton d’Uri avec cinq de ses amis, et s’arrêtant à la terrasse d’un bistrot, voilà que la patronne leur demande de se séparer, car les mesures demandent que pas plus de quatre personnes ne s’assoient ensemble :
« Au début, nous avons ri. Elle s’est alors mise à pleurer ; elle était réellement paniquée. Nous nous sommes immédiatement et volontairement séparés. Là, on a vu en direct l’effet de cette hypnose, de la peur faite aux gens. Je n’avais jamais rien vécu de tel. »
Rappelons-nous, à ce moment on cherchait des moyens pour que les troquets puissent rouvrir – il fallait des compromis, cela s’est traduit entre autre par la limite à quatre convives. Bien sûr a posteriori cela peut paraître arbitraire et non nécessaire à l’extérieur, mais au cœur de la pandémie tout le monde était stressé et essayait de faire le mieux possible, comme cette tenancière que Maurer juge sous « hypnose ». Et pourtant, on sait que le covid se répandait aussi dans les campagnes, et que nombreux sont ceux qui se sont infectés à la Stammtisch ! Je n’aurais pas grand-chose à reprocher à Ueli Maurer s’il était monsieur tout-le-monde… mais un Conseiller fédéral ? N’a-t-il jamais entendu parler du devoir d’exemplarité ?De faire avec les mesures qu’il a lui-même décidées (collégialement, mais tout de même…) ?
Mais soyons généreux avec Maurer et reconnaissons quelques points. Oui, certes, il y a eu des erreurs, des manques de transparence, des exagérations parfois. Même une forme d’hystérie, je veux bien l’admettre, mais plutôt dans d’autres pays que la Suisse. Et Maurer n’a pas tout fait faux : il a œuvré positivement pour distribuer des crédits Covid aux entreprises avec un minimum de bureaucratie.
Néanmoins, cela ne suffit pas à sauver le soldat Maurer. N’oublions pas qu’Ueli Maurer est le membre du gouvernement qui s’affichait avec les “Freiheitstrychler” revêtu de leur T-shirt. Ce groupe de sonneur de cloches était connu pour être de toutes les manifestations anti-mesures covid… Et ce qui reste le pire pour moi : en 2021, Maurer laissait entendre qu’il se passerait de la deuxième dose de vaccin covid, non nécessaire à ses yeux !… Encore une fois, quel manque d’exemplarité. Il y a chez Maurer, comme le notait l’ancien Conseiller fédéral Pascal Couchepin, quelque chose de l’adolescent qui teste toujours les limites.
Uelie Maurer, c’est monsieur ‘J’ai tout fait juste’. Quant aux déboires de Crédit Suisse, qui soit dit en passant ne sont sans doute pas terminés avec le rachat par UBS, qu’en dit notre vaillant ex-ministre des finances ?
« [I]l y avait une probabilité que Credit Suisse puisse sortir du marasme par ses propres moyens. En fait, il s’agit de la même question que pour le Covid: l’État est-il responsable de tout? Cette banque a commis de graves erreurs de gestion pendant des décennies. Est-ce au contribuable d’assumer les erreurs des managers qui touchent des bonus de plusieurs millions? »
Responsabilité des gestionnaires baltringues du CS ? Certes, mais quid du ministre des finances qui doit justement œuvrer pour que le peuple suisse ne se retrouve pas otage de ces banques en roues libres ? À quand la prochaine crise, cette fois avec UBS, qui a racheté CS ? Personne ne sera là pour racheter le racheteur.
Ueli Maurer, aux mains si propres, ce Ponce Pilate de l’exécutif helvétique…